Se transformer intérieurement

« Sois le changement que tu veux voir dans le monde ». La célèbre phrase de Gandhi nous invite à agir individuellement pour transformer la société au niveau global. En effet, comment espérer changer les institutions, les modèles de fonctionnement, si les esprits qui les composent ne se changent pas eux-mêmes ? 

Une démarche personnelle

Travailler sur son monde intérieur est une démarche très personnelle, chacun trouvera son inspiration propre : dans la spiritualité, la philosophie, la science, la sociologie, les enseignements de l’histoire… Nous déroulons ici notre point de vue, quelques concepts qui nous paraissent essentiels, pour une lecture la plus juste possible de la société, de notre rapport à l’autre et à nous-même. Ce déroulé n’est pas figé, nous sommes ouverts au débat en commentaires. Surtout, il nous semble que le plus important est d’observer et d’expérimenter soi-même. 

Etre acteur

Dès l’école, nous avons appris à accumuler de la connaissance, à nous intéresser à ce qui est en dehors de nous, mais nous n’avons pas appris à nous connaître nous-même, à simplement « être ».

Puis, dans nos vies « actives », nous avons tendance à nous oublier dans le travail, la famille, toutes ces « obligations » qui nous entourent. Nous répondons aux sollicitations extérieures, nous suivons les règles qui nous sont imposées, dans la société, au sein de notre entreprise. Nous avançons tels des pilotes automatiques, nourris par des pensées pré-construites par d’autres.

De plus en plus de personnes se rendent compte de cette aberration. Certains plaquent leur confortable boulot, leur mode de vie tout tracé, et se lancent dans une nouvelle vie plus en accord avec eux-mêmes, avec leur éthique ou leurs valeurs. Quitte à lâcher une activité très lucrative pour une autre qui l’est moins. Au fond que cherchent ces personnes ? Elles sont en quête de plus de sens.

Sagesses orientales et découvertes scientifiques

C’est justement le message que délivre le film « En Quête de Sens ». Alors que les deux réalisateurs étaient partis faire un tour d’initiatives écologiques et sociales, ils découvrent que pour changer le monde, il faudrait d’abord se changer soi-même. On se retrouve alors plongés dans une quête philosophique et spirituelle sur notre rapport au monde, aux autres, et à nous-même. Et on découvre que partout dans le monde, différentes sagesses et philosophies se rejoignent et s’accordent sur des principes universels.

En effet, la science peut expliquer certaines intuitions ou observations, c’est le cas notamment des rapprochements récents entre physique quantique et spiritualités orientales. Si quelques amalgames peuvent paraître douteux (mysticisme quantique), de plus en plus de scientifiques renommés tentent de jeter des ponts (à l’instar de Christian Thomas Kohl ou de Trinh Xuan Thuan). Loin de constituer un mouvement scientifique reconnu, cette tendance permet néanmoins de porter un regard neuf sur ces croyances ancestrales.

C’est avec cette approche à la fois rationalisante et spirituelle que nous avons construit une carte des idées. Il s’agit de nos idées personnelles, celles qui forgent notre philosophie de vie, et que nous remettons constamment en mouvement. Cette « mind-map » invite donc à être complétée, modifiée, car ses conditions de production sont déjà révolues !

La Mind-Map, un outil de visualisation des idées 

Réaliser une introspection de ses idées, c’est s’avancer dans un labyrinthe complexe de concepts et d’intuitions. Pour s’y repérer, rien de tel qu’une petite carte. Pour la réaliser, nous sommes partis de l’objectif final (se transformer intérieurement), et nous avons construit deux chemins :

  • Acquérir des notions fondamentales (qui peuvent être assimilées à des lois naturelles, ou lois du Dharma en bouddhisme)
  • Agir intérieurement (mettre en place des actions de transformation, au moyen d’outils)

L’un des chemins concerne l’acquisition de savoirs, l’autre de savoirs-faire et de savoirs-être. Bien sûr, nous considérons que l’un ne va pas sans l’autre. Mais il est possible de commencer par l’un ou l’autre afin de progresser à son rythme.

Et vous, que mettriez-vous sur la mindmap de votre philosophie du changement ?

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Trois notions fondamentales

L’interdépendance

A l’image d’un écosystème, la notion d’interdépendance indique que nous sommes tous liés et que nous faisons partie d’un tout. Dès que l’on change une variable dans cet écosystème, on crée des réactions en chaîne et on contribue à déplacer le point d’équilibre de celui-ci.

Pourquoi cette notion nous semble essentielle ?

Parce qu’elle nous redonne confiance dans nos engagements. Alors que nous avons parfois l’impression d’avancer seuls, à la lumière de cette notion, nous percevons la force que les changements individuels peuvent avoir sur la société toute entière.

A un niveau très concret, changer individuellement, c’est aussi donner l’exemple, montrer que c’est possible, témoigner des bienfaits… et donc inciter l’autre à se changer lui-même. 

Comprendre l’interdépendance, cela implique aussi d’aller vers la « pensée complexe » dont parle Edgar Morin : « Nous avons été formés à penser le monde par morceaux. Pour traiter les problèmes qui nous assaillent, il faut au contraire nourrir les consciences de complexité, de lien, d’ambivalence. »

Enfin, cela implique également que l’être humain n’est pas déconnecté de la « Nature ». Il en est partie prenante et n’échappe pas à ses « Lois ».

L’impermanence

Rien n’est figé, la vie est un mouvement permanent. Contrairement à ce que l’on pensait il y a encore quelques années, même l’expression de nos gènes évolue au cours de notre vie (c’est l’apport de l’épigénétique).

Pourquoi cette notion nous semble essentielle ?

Prendre conscience de ce fait permet de lâcher-prise, de ne plus lutter pour des idées que l’on jugerait immuables car « vraies ». Cela nous engage à remettre en cause nos certitudes. Cela ne veut pas dire que rien n’est vrai, et donc que « tout se vaut », mais simplement que le monde évolue en permanence et qu’il faut à tout moment remettre son jugement en perspective, pour tenter d’être le plus fidèle possible aux faits.

Un modèle qui semble idéal aujourd’hui ne le sera pas nécessairement demain. Les variables qui ont permis la production du modèle évoluent, et il faut donc à tout moment, exercer un va-et-vient entre les idées et la réalité, entre les causes perçues et les conséquences attendues, entre les symptômes visibles et les racines cachées.

La non-dualité

Symbolisé couramment par le symbole taoïste du yin-yang, le concept exprime le fait que les choses qui nous semblent être opposées ne sont que des manifestations différentes d’un même principe.

Cela signifie notamment qu’il n’y a pas de mal ou de bien « en soi » ; que lumière et obscurité sont deux facettes d’un même ensemble.

Pourquoi cette notion nous semble essentielle ? 

En admettant que les choses ne sont pas « soit ainsi, soit autrement », nous acceptons les nuances. Cela induit une plus grande tolérance envers la différence. Cela induit également la recherche d’équilibre, au fondement de notre philosophie.

A l’échelle individuelle cela entraîne l’idée que nos contradictions, nos traumatismes font partie de notre « tout ». Ces « affections » sont constituantes de nous-mêmes et non pas quelque chose qui nous tire vers une direction opposée. Il s’agit dès lors de les regarder et de les accepter pour ce qu’elles sont : une part de nous, à transformer en force.

Entre individus, cela suppose de ne plus catégoriser, car tout individu (voire chose) est issu d’un même principe originel (un biologiste dirait, de la même « soupe de vie primordiale »). On ne peut plus alors considérer irrémédiablement « l’autre » comme un ennemi, extérieur à soi, car il fait partie d’un même tout.

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Changer par l’action

Dans la perspective d’un changement de paradigme sociétal, nos biais de compréhensions du monde peuvent être reconfigurés par des actions, des méthodes.

Parmi les plus complètes figure la méditation. Elle peut prendre de multiples formes. Loin d’être une activité de vieux hippies ou de moines ascètes, la méditation a étendu ses frontières à celles de l’hôpital public, de l’école et même de l’armée et de la police, comme au Mozambique !

La méditation permet de se connecter à ses sens et de se recentrer. Elle nous place dans une position d’observateur, pour une meilleure compréhension de soi-même et de son rapport au monde.

S’observer… sans être narcissique

D’une manière plus « occidentale » et plus rationnelle, cela évoque le concept de « réflexivité réflexe », légué par le sociologue Pierre Bourdieu. L’idée en substance : pratiquer un aller-retour constant entre soi-même et l’objet d’étude.

Cela permet de dépasser les biais de compréhension, nos inclinations pour telle ou telle explication, et ainsi, de modifier nos « habitus », pour reprendre un autre concept sociologique.

Bien sûr, cette observation se fait sans perche à selfie, mais plutôt avec une bonne dose d’auto-critique.

Construire son chemin

En conclusion, notre philosophie de vie invite donc à la curiosité et à l’empathie envers soi-même et envers son environnement. La lecture, les pratiques artistiques, les rencontres, le voyage, la communication non-violente, font partie de la boîte à outil pour acquérir une meilleure conscience de soi.

Mais quel que soit le moyen choisi, l’une des clés de réussite de ce changement intérieur réside dans le choix de méthodes adaptées à chacun.

En bref : il n’y a pas de recette applicable à tous, c’est à chacun de faire son cheminement.

En espérant avoir tout de même proposé des aides pour accomplir ce chemin, nous vous souhaitons bonne route !

Pour aller plus loin :

Les « concepts » d’impermanence, d’interdépendance et de non-dualité sont accompagnés, dans la « philosophie » bouddhiste, d’une autre notion fondamentale, difficile à saisir dans notre monde occidental : la vacuité. Voici une petite histoire pour mieux la comprendre.

La Vacuité, un concept ou une réalité à expérimenter ?

Un jour, un étudiant vient voir un sage tibétain pour lui demander de lui expliquer ce que «vacuité» voulait dire. Le sage lui donne les éléments de base habituels, et l’étudiant semble très content, pour ne pas dire ravi. C’est vraiment super ! dit-il à la fin. D’après l’expérience personnelle du sage, il n’est pas facile de comprendre la vacuité du premier coup. C’est pour cela qu’il lui demande de passer les quelques jours suivants à méditer sur ce qu’il avait appris.

Quelques jours plus tard, l’étudiant apparaît tout d’un coup devant la porte du sage avec une expression de terreur. Pâle, voûté, tremblant, il traverse la pièce avec précaution comme s’il tâtait le sol devant lui pour détecter des sables mouvants. «Maître, dit-il, vous m’avez demandé de méditer sur la vacuité, mais la nuit dernière il m’est venu à l’esprit que «tout» était vacuité. Cet immeuble est vacuité, les planchers sont vacuité, et le sol au-dessous est aussi vacuité. Alors, pourquoi ne passons-nous pas à travers le plancher, et même à travers la terre ?»

Le sage le laissa finir, puis il lui demanda «qui tomberait ?»

L’étudiant considéra un moment la question, puis son expression changea du tout au tout.

Ah ! J’ai pigé ! Si l’immeuble est vacuité et les gens aussi, il n’y a personne qui puisse tomber et rien à travers de quoi tomber.

L’étudiant poussa un long soupir, se détendit, et son visage reprit des couleurs. Le sage lui demande alors de méditer sur la vacuité avec la compréhension nouvelle qu’il en avait.

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Deux ou trois jours plus tard, l’étudiant revient voir le sage à l’improviste. Il est de nouveau pâle et tremblant. Après s’être assis en face du Maître, il dit «Maître, j’ai médité sur la vacuité comme vous me l’avez conseillé, et j’ai compris que j’étais vacuité, de même que cet immeuble et le sol sur lequel je me trouve. Mais à mesure que je méditais, je suis allé de plus en plus profond, jusqu’au point de cesser de voir ou de ressentir quoi que ce soit. J’ai peur, si je ne suis que vacuité, d’être sur le point de mourir. Alors je me suis précipité pour vous voir ce matin. Si je ne suis que vacuité, je ne suis, au fond, rien du tout, et rien n’empêche que je me dissolve dans le néant.»

Quand le sage fut certain que l’étudiant avait tout dit, il lui demande : «Qui va se dissoudre ?» Le sage attend un moment, le temps que l’étudiant digère la question, avant de poursuivre : «Vous avez confondu la vacuité avec le néant. Au début, la plupart des gens font l’erreur d’aborder la vacuité comme s’il s’agissait d’une idée, d’un concept. J’ai fait cette erreur moi-même. Mais il n’y a, en réalité, aucun moyen de comprendre la vacuité à l’aide de concepts. Vous ne pouvez réellement la connaître que par une expérience directe. Je ne vous demande pas de me croire. Tout ce que je vous demande, c’est de vous poser cette question, la prochaine fois que vous vous asseyez pour méditer : si tout est, par nature, vacuité, qui ou quoi peut se dissoudre ? Qui ou quoi peut naître ? Qui ou quoi peut mourir ? Allez-y, et la réponse vous surprendra peut-être.»

L’étudiant soupire et accepte d’essayer encore.

Quelques jours plus tard, l’étudiant revient voir le Maître. Avec un sourire paisible, il annonce «je pense que je commence à comprendre !» Le sage demande qu’il s’explique.

«J’ai suivi vos instructions. Après avoir médité longtemps sur la vacuité, j’ai compris que cela ne signifiait pas le néant, car pour qu’il n’y ait rien, il faudrait d’abord qu’il y ait quelque chose. La vacuité, c’est donc tout, toutes les possibilités d’existence et de non-existence imaginables, toutes présentes au même instant. Si la vacuité est notre vraie nature, on ne peut dire de personne qu’il naît ou qu’il meurt véritablement, car la possibilité d’être d’une façon ou d’une autre, ou de ne pas être, est présente en nous à tout moment.»

Très bien, dis le sage. «Maintenant, oubliez tout ce que vous venez de dire, parce que si vous essayez de vous le rappeler exactement, vous allez transformer en concepts ce que vous avez appris, et il vous faudra revenir à la case départ.»

Notre interprétation : Les enseignements de cette histoire sont multiples. Outre le parallèle immédiat avec l’expérience du chat de Schrödinger (existence d’un chat « à la fois mort et vivant » dans la boîte) et avec des principes de physique quantique, nous retenons de notre côté une leçon : il s’agit, pour percevoir la “réalité”, d’oublier ses croyances, de toujours remettre en mouvement ses compréhensions du monde ; en somme, d’être à chaque instant en observation, à la fois de soi et du monde.

Lettre de Spinoza à Louis Meyer, un exemple de lecture « rationnelle » du concept de non-dualité : En Occident, Spinoza a beaucoup théorisé autour de cette notion sans la nommer, mais en évoquant « l’Infini » : « 1° l’existence appartient à son essence, c’est-à-dire qu’il suit qu’elle existe de sa seule essence et définition (…). 2e point qui découle du premier : il n’existe pas plusieurs substances de même nature, mais une substance unique. 3e point enfin : une substance ne peut être conçue autrement que comme infinie. J’appelle Modes, d’autre part, les affections d’une substance, et leur définition, n’étant pas celle d’une substance, ne peut envelopper l’existence. »

Une bibliographie sélective

F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra : « Vouloir libère », « Deviens celui que tu es », l’oeuvre phare du philosophe allemand est une invitation à la réalisation de soi. Puissant et poétique.

T.Gaudin, L’impératif du vivant : Prospectiviste de renom, Thierry Gaudin nous invite à reconceptualiser notre pensée de manière plus vivante. Clair et écologique.

G. Guasch, Vivre l’énergie du Tao : Pour une découverte du Tao, son histoire, ses concepts clés, et quelques exercices pratiques pour nous accompagner dans notre développement intérieur à la lumière des enseignements taoïstes. Passionnant et limpide.

E. Tolle, Le pouvoir du moment présent : un « guide d’éveil spirituel », best-seller, qui s’adresse à notre être intérieur, nous amène à prendre une position d’observateur en tout instant, à lâcher le mental, et conduit le lecteur en quête de paix intérieure. Parfois un peu répétitif, mais riche et incontournable.

Dalai Lama, Transformer son esprit : Le Dalai Lama nous invite à prendre du recul sur nos modes de vie occidentaux, à distinguer l’important du superflu, et transformer les mécanismes de notre esprit pour vivre en toute sérénité. De nombreux concepts bouddhistes. Complexe mais éclairant.

Ch. André, J. Kabat-Zinn, P. Rabhi, M. Ricard, Se changer, changer le monde : Un moine bouddhiste, un psychiatre, un agriculteur philosophe et un professeur de médecine nous amènent à prendre conscience de notre rôle dans la société et nous donnent des pistes pour agir intérieurement et au quotidien. Des conseils pratiques et faciles d’accès.


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